Jacques-Melchior VILLEFRANCHE
(1829-1904)
Après avoir travaillé dans les services télégraphiques, Jacques-Melchior Villefranche (1829-1904) rachète en 1875 le Journal de l’Ain pour défendre l’Église catholique face aux mesures persécutrices de la Troisième République.
Écrivain prolifique, il a laissé 77 ouvrages, dont deux recueils de fables – Fables (1851) et Fabuliste Chrétien (1875) – et des romans historiques, dont Cineas, ou Rome sous Néron (1869) qui a été traduit en plusieurs langues.
En 1880, en réaction aux expulsions de religieux, il compose un poème héroï-comique pour retracer le siège de l'abbaye de Frigolet.
Je chante les combats et cette race épique
Qui, jurant d'expulser Dieu de la République,
Arma de rossignols les bras de ses guerriers
Et rendit immortels soldats et serruriers.
C'est ainsi qu'un grand peuple écrasé par la guerre
Se venge des affronts subis à la frontière :
En prenant Frigolet, la France put enfin
Oublier Metz, Strasbourg et les rives du Rhin. […].
Je saurai me borner ; j'abandonne à l'histoire
Trois cents assauts livrés sur tout le territoire,
Et du seul Frigolet je chante les exploits :
Trois mille hommes sur pied pour en chasser vingt-trois […].
Il développera ensuite ce poème en 7 chants dans La Frigolade (1881).
Il explique dans la préface :
« Tout sentiment sincère est respectable ; si les fanatiques dont nous subissons le joug n'étaient que fanatiques, on les plaindrait, on les haïrait peut-être, on ne les mépriserait pas. Mais qu'ils sont loin de l'audace et de la franchise de leurs devanciers !
Ils crient vive la Liberté ! lorsqu'ils détruisent, pour ceux qui ne pensent point comme eux, la liberté d'association dont ils usent si largement pour eux-mêmes ; ils chantent l'Égalité et la Fraternité tout en créant des exceptions entre concitoyens et en supprimant, par leurs arrêtés de conflits, le recours aux tribunaux ; ils prônent l'instruction populaire au moment même où ils ferment tant d'écoles, les meilleures du pays.
Au nom de la morale ils démoralisent ; au nom de la République ils ressuscitent les violences dictatoriales du coup d'État, pour lesquelles ils n'ont pas assez d'anathèmes ; au nom du relèvement de la patrie ils livrent le pauvre peuple au matérialisme le plus grossier et aux énervements de ce qu'on appelle aujourd'hui la pornographie ; ils parlent d'éclairer les âmes et ils éteignent les flambeaux de la civilisation.
Semblable hypocrisie ne mérite aucune indulgence, aucune pitié.
En présence de ce libéralisme imposteur, de cette fausse démocratie qui semble s'être donné pour mission de supprimer l'honneur et la conscience, tout honnête homme qui tient une plume la sent frémir entre ses doigts.
Facit indignatio versum. J'ai assisté, la honte au front, à une des deux ou trois cents expulsions de religieux, précédées d'effraction et de violation de domicile, qui ont signalé 1880. Je l'ai racontée en publiciste ; mais cela ne pouvait suffire à l'indignation dont mon cœur débordait.
Le vers porte mieux et plus loin qu'un article de journal.
J'aurais pu choisir, pour le livrer à la raillerie vengeresse, l'attentat dont je fus témoin ; mais il alliait moins complètement que celui de Frigolet le ridicule à l'odieux.
Ce nom de Frigolet restera dans l'histoire comme le monument de la brutalité niaise et de la lâcheté des sectaires contemporains ; il appellera éternellement la satire ; aucun autre ne se prêtait aussi bien à encadrer un être fictif, personnification de nos abrutisseurs. »